Les bédéistes béninois doivent « faire des sacrifices » pour vivre de leur art, affirme Constantin Adadja, bédéiste et président de l’Association des Storyboarders (AS-Bénin), qui regrette l’inexistence de maisons d’édition spécialisées dans la BD, appelant le public à « consommer de façon intensive » les productions locales et africaines, dans une interview avec Aïdo 3D.
Comment se porte la BD au Bénin ?
Pour constater la vitalité de la BD dans un pays, on se réfère aux publications. Depuis 2016, on n’a pas enregistré de publications ni d’albums. Il y a eu des initiatives comme d’habitude dans les journaux et magazines. Mais, ça ne suffit pas.Sur ce plan, ça va très mal. La bande dessinée béninoise ne décolle pas.
Combien d’albums le Bénin produit en moyenne par an ?
Les sorties sont très rares. Il y a eu des années fastes comme en 2008 où on a eu 10 albums en un seul coup. C’étaient des mini-albums qui ont vraiment lancé la BD. Après ce boom, on a depuis, en moyenne, 1 album BD par an. Mais cette tendance ne respecte pas vraiment. Par exemple, en 2012, on a eu Toubab or not Toubab de Hector Sonon et Taxi moto de Hodall Béo en 2013. Puis, en 2016, j’ai participé à la réalisation de « Béhanzin » avec les scénaristes Florent Couao-Zotti et Sonia Houénoudé Couao-Zotti. En 2019, on a eu le roman graphique « Yao visa refusé » de Didier Viodé. Mais, après, ça s’est un peu calmé. Pour le moment, ça va très mal même s’il y a plusieurs projets en cours.
Ces chiffres sont insignifiants…
Evidemment, le Bénin n’est pas reconnu comme un pays de bande dessinée. C’est vrai qu’on a des talents et d’excellents auteurs béninois. Le problème, c’est que les rares auteurs ne publient pas souvent. Cela fait qu’on n’enregistre pas souvent d’albums.
Combien d’albums avez-vous à votre actif ?
J’ai réalisé deux albums : les trois singes : maman, je reviendrai en 2008 et Gbéhanzin (cité plus haut). J’ai un album qui est déjà achevé et qui sortira bientôt. Je suis entrain de finaliser un autre. Ça fait au total 4 albums.
Les bédéistes béninois ont-ils des difficultés particulières ?
En Afrique, les bédéistes rencontrent tous les mêmes difficultés. Il n’y a pas de contrat d’album, ni de maison d’édition spécialisée dans la BD. Il n’y a pas vraiment de projet à plein temps. C’est un métier libéral. Tout dépend de la capacité de l’artiste à tomber sur des projets porteurs, qui permettent de bénéficier de financement. La plupart du temps quand tu te retrouves devant un éditeur, ce dernier exige que tu finances au moins la moitié de l’album. Il est donc difficile pour les artistes de trouver des éditeurs qui paient des avances et qui publient les albums. A l’international, c’est encore plus difficile, parce qu’ils ne sélectionnent que les meilleurs. Il faut également être dans certains réseaux à l’extérieur pour bénéficier d’une aide.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Il faut qu’il ait un environnement favorable. Il faut que le public commence par consommer de façon intensive les BD béninoises et africaines. Pour cela, les auteurs doivent proposer des sujets qui intéressent le public. Les bandes dessinées historiques, éducatives et humoristiques fonctionnent très bien au Bénin. Pourquoi ne pas intensifier cela ? Il faut que les dessinateurs eux-mêmes évitent de se jeter dans la facilité. Ils doivent faire confiance en leur art et s’y adonner. Ensuite, il faut injecter de l’argent dans le secteur. Il y a un marché, mais on doit l’emmener à fonctionner. On doit faire en sorte que l’éditeur n’ait pas peur de produire ou de lancer un jeune auteur. Il faut que les éditeurs, les magazines soient rassurés qu’ils vont vendre quand ils vont faire confiance en un auteur.
Est-il possible de vivre de son art au Bénin ?
Oui, mais il faut des sacrifices. Il faut être déterminé et se donner à fond. Le bédéiste doit savoir également saisir les opportunités qui se présenteront à lui.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune dessinateur qui rêve de faire de la BD au Bénin ?
Ce n’est pas facile. Il faut d’abord être bédéiste dans l’âme. Ensuite, il faut bosser dur et se donner du temps, car les grands bédéistes ont trainé leurs bosses un peu partout. Ils ont commencé très tôt et ils travaillent sans sauter les étapes. Le jeune doit comprendre que le temps doit faire partie de l’équation.
Jacob Djossou