Le réalisateur Jean-Pierre Tardivel assure qu’il faut promouvoir le « professionnalisme » pour développer le cinéma d’animation béninois encore embryonnaire. Établi au Bénin depuis 4 ans et initiateur « Du dessin animé à Ouidah », un programme de formation aux techniques 2D et 3D, le Français reste plutôt optimiste quant à l’avenir du secteur, dans une interview avec AIDO 3D.
« Du dessin animé à Ouidah», qu’est-ce que c’est exactement ?
Dans un premier temps, « Du dessin animé à Ouidah », c’est l’appellation que notre association française, AARG (Atelier d’Animation et de Recherche Graphique) a donné à son premier programme de formation aux techniques de l’animation 2D au Bénin. Après plusieurs actions menées en Côte d’Ivoire, Burkina et RDC, nous avons ciblé le Bénin pour développer un premier plan d’action de trois mois. Cela dit, nous avons eu la chance d’être de nouveau aidés par nos mécènes français, ce qui a permis d’organiser une deuxième session puis une troisième. Nous allons démarrer 2020 avec des projets en jouant sur la fragile dualité formation/production. Entendons-nous bien, le plan initial portait exclusivement sur la formation. Cette formation a été dispensée par des réalisateurs et techniciens professionnels de l’animation en provenance du Burkina, du Togo et de France et qui s’est concrétisée par une présence permanente des intervenants pendant la durée totale des sessions. Cette présence a permis des échanges fructueux entre les formateurs et les apprenants, échanges qui perdurent après la période de formation via les réseaux sociaux. Cela dit, les étudiants se sont pris au jeu, ils ont commencé par développer des projets et dans le cadre de l’action pédagogique, quatre initiatives ont été menées.
Pourquoi avoir choisi le Bénin et la ville de Ouidah ?
J’ai relaté plus haut les différents pays où je suis intervenu personnellement, mais aussi accompagné d’autres formateurs français. Après ces belles expériences africaines, organisées par des ONG ou associations pour lesquelles j’étais « simple » intervenant, l’idée de développer un programme et d’en assurer la logistique avec notre association parisienne m’est venue dès que j’ai choisi le Bénin comme lieu de séjour. Je réside régulièrement à Ouidah depuis plus de quatre ans, cette raison a bien sûr pesé dans la balance, mais surtout, je tenais à considérer le lieu comme une sorte de phalanstère, une résidence éloignée de tout tumulte et propice à la concentration.
La production locale de films d’animation est quasi inexistante, pensez-vous que votre programme puisse réveiller ce secteur ?
Un programme isolé comme celui que nous avons développé à Ouidah n’est qu’une petite graine dans un terrain vierge. Je l’ai déjà dit, on ne crée pas une forêt en plantant un arbre, mais par la technique du marcottage, on peut gagner du terrain. C’est ce que se fera par le travail que vont développer les anciens de cette première expérience de Ouidah. Toutefois, la métaphore botanique permet simplement d’expliquer qu’il faudrait des dizaines d’expériences comparables à celle que nous avons initiée à Ouidah. Elles permettraient de déclencher une véritable prise de conscience qu’un mode d’expression et un secteur d’emploi extraordinaire déjà implanté tant en Extrême-Orient, qu’en Amérique ou en Europe ne peut que se développer en Afrique et au Bénin particulièrement.
Votre équipe est composée de jeunes dessinateurs et réalisateurs béninois. Comment ont-ils été sélectionnés ?
Au départ, ils avaient entre 19 et 25 ans. La sélection s’est faite sur entretiens, tests et dossiers. La première exigence est de savoir dessiner, la seconde, une maitrise de l’outil informatique. Troisième exigence ; la connaissance de l’anglais.
Combien de films d’animation avez-vous déjà réalisés et quels sont les projets en cours ?
Au cours de près de deux années entrecoupées de temps libre, nos étudiants ont réalisé un clip intitulé « Mannequin », un second film en dessin animé 2D assisté de 3D « Sica », sur une chanson de la béninoise Zeynab, un troisième travail collectif consistant en un clip dessin animé 2D illustrant le morceau d’un rappeur franco-haïtien et aussi un sujet en pixilation intitulé « Identité ». Enfin, un projet de série « Zloopi et Dito » imaginé par l’équipe et que l’on peut qualifier de série citoyenne a été l’occasion de réaliser un trailer d’une 1min20’ qui a été projeté le 12 décembre à l’Institut français de Cotonou (IFB). Votre article peut être un appel à participation ! 2020 démarre avec le projet de série, mais pour lequel nous n’avons ni producteur, ni diffuseur. Un autre projet est de diffuser ce qui a été réalisé par l’équipe du dessin animé à Ouidah fin février au Centre Artistik Africa de Ousmane Aledji, invité par Arcade Assogba, organisateur des évènements les « courts du soir ».
Êtes-vous satisfaits du niveau et du rendement de vos apprenants ?
Dire de manière immédiate que l’on est ou non satisfait du niveau acquis induit deux paramètres. Soit l’enseignement dispensé a été formidable, soit le niveau des apprenants est d’excellente qualité ! Quoi qu’il en soit, pour le peu de temps consacré dans les trois sessions de formation (nous totalisons à peine une année, lorsque les écoles forment en trois ans minimum), on peut déjà remarquer chez une majorité d’entre eux une capacité à appréhender une technique complexe qui ne peut que progresser si toutefois l’occasion de la pratiquer régulièrement s’offre à eux.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontées ?
La première difficulté est de faire reconnaitre le cinéma d’animation comme un mode d’expression à part entière, au même titre que le cinéma. Le deuxième écueil, sans entrer dans les détails, est la difficulté à travailler en équipe, ce qui ne peut se faire autrement en cinéma d’animation. Enfin, au plan matériel, il est vrai que pendant deux années de présence à Ouidah, AARG a surtout fonctionné grâce au soutien de nos mécènes français et une participation béninoise, notamment en termes de locaux pour une période couvrant les deux premières sessions.
Comment se présente l’avenir du cinéma d’animation béninois ?
Ils ont été 16 à suivre les sessions de formation. Ce qui est encourageant dans l’aventure, c’est la création par eux-mêmes d’une association, l’ACIAB (Association des cinéastes de l’image animée du Bénin), organe qui permettra de faire reconnaitre une discipline encore jeune, voire inexistante, de manière officielle au Bénin. Deux facteurs permettront le développement du cinéma d’animation béninois. Le premier est le professionnalisme des impétrants de la discipline, nécessaire pour envisager une participation dans les festivals et l’accès aux médias. Le second serait la prise en compte par les autorités d’une technique et d’une expression émergente, porteuse en identité et créatrice d’emplois, pour peu qu’on veuille la développer. À titre d’exemple, au début des années 2000, la Côte d’Ivoire ne produisait que de l’habillage pour la télévision, quelques rares publicités en animation, bien souvent sous-traitées à l’étranger et parfois le court métrage d’un auteur opiniâtre et volontaire. En 2019, on pouvait dénombrer huit studios basés à Abidjan, employant en totalité près de 100 personnes et produisant longs métrages, série et spots publicitaires localement. Tout espoir est donc permis au Bénin !
Jacob Djossou